Recapitalisation interne ou externe

Share

En 2016 et 2017, l’union bancaire européenne a été le témoin de plusieurs restructurations bancaires, où le mécanisme de résolution unique (Single Resolution Board) a fait usage de ses prérogatives afin de forcer les créanciers à prendre leurs pertes et cela comme condition préalable à l’usage d’argent public en vue de renflouer des banques en difficulté.

Cependant, les pertes n’ont pas toujours été réparties de manière équitable entre les créanciers. Dans certaines restructurations, les actionnaires particuliers de ces banques ont obtenu un dédommagement via un mécanisme d’indemnisation et ont ainsi pu limiter leurs pertes.

Cette pratique pose la question suivante : comment cela peut-il être justifié ? Ce traitement spécial des investisseurs particuliers au profit d’autres créanciers ne constitue-t-il pas une violation du principe d’égalité de traitement prévu à l’article 20 de la chartre des droits fondamentaux de l’Union européenne ? Une telle pratique ne met-elle pas à mal le principe fondamental ayant fondé le mécanisme de résolution unique, qui a pour objectif de faire supporter aux créanciers une partie des pertes quand une banque est renflouée avec l’argent du contribuable ?

Prenons l’exemple du sauvetage de la banque Monte dei Paschi di Siena (MPS). Quand le gouvernement italien a décidé de sauver MPS en décembre 2016 après que la plus vieille banque au monde ait admis n’avoir pas réussi à lever EUR 5 milliards auprès d’investisseurs particuliers dans un dernier effort pour sa survie, les détenteurs d’obligations subordonnées (junior bondholders), qui étaient en majorité des investisseurs particuliers, se sont vus offerts la possibilité de convertir leurs obligations, d’abord en actions et ensuite en dette non-subordonnée. L’argument employé pour protéger les investisseurs particuliers était qu’ils avaient été enduits en erreur au moment de l’achat de leurs obligations.

D’autres exemples existent. En 2017, deux banques de la région de Vénétie  (Banca Popolare di Vicenza and Veneto Banca) ont été également sauvées. Les titulaires d’obligations subordonnées ont été forcés de subir une perte sur leur investissement ; cependant, les investisseurs particuliers ont été indemnisés sur base du fait qu’ils avaient été également trompés lors de l’achat de leurs obligations.

De plus, les deux banques, dans le cadre d’une offre unilatérale, ont proposé de conclure un accord à l’amiable avec 170.000 actionnaires qui, dans de nombreux cas, avaient été persuadés d’acheter leurs actions en échange d’un octroi de prêt par ces banques. Cet accord à l’amiable n’a été rendu possible qu’en faisant usage de l’argent public qui avait été injecté dans ces institutions financières.

Veneto Banca a offert aux actionnaires à titre d’indemnisation 15% de leurs pertes théoriques suite à des achats d’actions (les éventuels bénéfices liés à une vente et les dividendes ont été déduits du calcul de la perte), qui ont été effectués entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2016. Banca Popolare di Vicenza a proposé un accord à l’amiable à un prix fixe par action, au terme duquel le taux de recouvrement se situait entre 14.4% et 18.75% de la perte. En échange, les actionnaires ont renoncé à leur droit d’entreprendre des actions judiciaires contre les banques, leurs administrateurs, leurs réviseurs d’entreprise, employés, agents et consultants. Un taux minimum d’acceptation de 80% était requis en vue de rendre l’accord contraignant.

Un autre exemple notoire est le sauvetage de Bankia en Espagne. Ses actions avaient été introduites en bourse en juillet 2011. 60% des actions avaient été achetées lors de l’IPO par des investisseurs particuliers. En mai 2012, moins d’un an après l’IPO, les actions ont perdu plus de 60% de leur valeur. Début 2012, Bankia a reçu un paiement de plus d’EUR 19 milliards dans le cadre des règles relatives aux aides d’état prévues par l’Union européenne et le gouvernement espagnol a indirectement acquis plus de 60% du capital, ce qui a quasiment anéanti la valeur boursière des actions Bankia. Des procédures judiciaires ont été entreprises par des investisseurs particuliers contre Bankia au motif que le prospectus relatif à l’IPO contenait des informations erronées. La cour suprême espagnole a jugé en septembre 2016 que Bankia devait rembourser le prix payé pour les actions car le prospectus contenait des manquements graves au sujet de l’information relative à la situation financière au moment de l’IPO.

Suite à cette décision, Bankia a proposé un accord à l’amiable à l’ensemble des investisseurs particuliers ayant acheté des actions lors de l’IPO. Les actionnaires qui ont acheté leurs actions sur le marché secondaire n’ont pu bénéficier de cette offre. Les actionnaires ayant accepté l’accord à l’amiable ont obtenu un remboursement intégral du prix d’achat de leurs actions, en échange de les céder à la banque.

Enfin, lorsque la banque espagnole Banco Popular a été restructurée en 2017, ses actionnaires ont vu la valeur de leurs actions anéantie et les titulaires d’obligations subordonnées ont également subi des pertes très importantes, la valeur de ces obligations ayant été ramenée quasiment à zéro. Cependant, Santander, qui avait racheté la banque, a annoncé qu’elle offrirait des obligations perpétuelles aux investisseurs particuliers qui détenaient des actions et de la dette subordonnée.

Santander a indemnisé ses clients avec des obligations perpétuelles pour un montant de plus d’EUR 680 millions. Ces obligations ont un taux d’intérêt de 1% par an et seront remboursables après 7 ans. Santander a décidé que la compensation pourrait être offerte aux investisseurs particuliers qui ont acquis les actions pendant une période courte (du 26 mai au 21 juin 2016), soit au moment où une augmentation de capital est intervenue pour un montant d’environ EUR 2.5 milliards.

Ces exemples posent la question de savoir si l’argument de la diffusion d’informations trompeuses dans le processus de vente de ces instruments financiers n’a pas été employé afin de contourner la réglementation européenne relative aux aides d’état ou aux restructurations bancaires. L’argent public peut-il être employé afin d’indemniser des actionnaires particuliers ?

Ce serait faux d’assumer que tous les actionnaires ou obligataires particuliers d’une banque ne seraient pas au courant des risques qu’ils ont pris lorsqu’ils ont investi. Offrir une indemnisation à l’ensemble des investisseurs particuliers de banques restructurées, sans distinction et sans établir que de l’information trompeuse aurait été diffusée dans le cadre du processus de commercialisation de l’investissement, serait équivalent à une recapitalisation externe déguisée qui violerait le droit européen.

Cependant, le droit à une indemnisation en cas de diffusion d’informations trompeuses est un principe fondamental en matière de protection des investisseurs, sur lequel s’appuie le marché européen des capitaux. Il serait faux d’affirmer que les investisseurs n’auraient pas droit à une compensation en cas d’informations trompeuses uniquement parce que la banque en question a été sauvée grâce à de l’argent public.

La question est dès lors de déterminer l’équilibre entre une restructuration efficace des institutions financières, le principe d’égalité de traitement et l’indemnisation des investisseurs en cas d’informations trompeuses.

Dans le dossier Bankia, la cour suprême espagnole a estimé que deux investisseurs qui avaient acquis leurs actions dans le cadre de l’IPO avaient droit à une indemnisation. Il s’agit sans aucun doute d’une raison objective en vue d’une compensation. Dans le cas de Veneto, il existait des indications claires que les banques avaient levé du capital de leurs propres clients en échange de l’octroi de prêts, sans avoir expliqué les risques liés aux actions. Les banques ont été accusées d’avoir caché des risques importants de leurs bilans et d’avoir gonflé artificiellement leurs ratios d’adéquation de capital. Ces actionnaires qui étaient également clients de ces banques ont introduit de nombreuses procédures judiciaires au civil et au pénal. Les banques ont préféré conclure un accord à l’amiable que de s’engager dans des procédures juridiques longues et incertaines. Il s’agit d’une décision sage dès lors où ces banques ont un encrage local fort et ont besoin du soutien de leurs clients pour prospérer. Alors que le plan d’indemnisation ne faisait pas partie de la restructuration en tant que tel, il aurait été cependant impossible de mettre en œuvre cette dernière sans l’usage d’argent public.

Notre conclusion préliminaire est que l’indemnisation d’investisseurs via une procédure adéquate est – en principe – compatible avec le droit européen. Cependant, il existe un prérequis pour leur légitimité, à savoir que ces procédures d’indemnisation doivent être détachées de la restructuration et doivent se baser sur des critères objectifs. Les procédures d’indemnisation sont plus crédibles si elles prennent en compte la situation juridique sous-jacente des investisseurs et des critères spécifiques afin de rendre possible une distinction entre des situations différentes. Les facteurs devant être pris en considération sont le montant et le moment de l’investissement, l’ampleur des informations trompeuses et les parties responsables de l’émission et de la diffusion de ces informations, les pertes réelles et les coûts subis, les dividendes et autres avantages perçus qui ont pu contribuer à une réduction de la perte.

Enfin, dans aucun des exemples précités, un état a directement indemnisé les investisseurs. L’indemnisation était proposée par les parties qui étaient responsables des informations trompeuses. Ceci est logique dès lors où un état ne vend pas de produits bancaires. Dans certaines circonstances spécifiques cependant, il ne peut être exclu que les états eux-mêmes pourraient être tenus responsables, par exemple en cas de manquement réglementaire ou si leur responsabilité est engagée dans le cadre de la restructuration.

Le débat n’est probablement pas encore clos, étant donné les restructurations bancaires en cours. Des procédures judiciaires et compensatoires sont certainement à prévoir dans le cadre de recapitalisations.

 

 

Share

VOTRE SUCCÈS EST NOTRE SUCCÈS:

Nous ne sommes rémunérés que lorsque votre affaire est gagnée ou réglée à l’amiable.

Deminor prend en charge tous les frais du contentieux et reçoit un pourcentage des pertes récupérées en cas de succès.

success-rate-img

79.5%

DE TAUX DE RÉUSSITE

Contactez l'un de nos experts.

Nous vous donnerons une première évaluation rapide de votre dossier.